Hier soir au théâtre romain d'Ostie a eu lieu une représentation de la Phèdre de Sénèque mise en scène par Silvio Giordani. L'été est souvent l'occasion de redonner vie dans un cadre originel à des œuvres antiques et l'enjeu est de découvrir comment la beauté des lieux va servir le spectacle.
Il y a d'abord ce moment privilégié où le spectateur s'installe dans ces lieux et à son insu fait revivre lès gestes du spectateur antique. Comme à Rome, certains arrivent avec leur coussin, d'autres les louent, beaucoup ont amené pizza ou sandwichs, on se parle, on se hèle. On se prend à rêver qu'un marchand de fèves ambulant va surgir en tunique.
Assister à un spectacle de théâtre antique en plein air, c'est aussi avoir sous les yeux le spectacle du soleil qui se couche et fait jouer la lumière sur les ruines.
Le parti-pris du metteur en scène a été de laisser les ruines construire leur propre décor. Il se trouve que le théâtre d'Ostie ,comme les théâtres romains qui n'étaient pas des lieux de culte.
N'a pas de point de vue spectaculaire à offrir, mais le temps a travaillé pour cela: le mur de scène n'existe plus et quelques mètres plus loin, derrière la scène, on découvre une rangée de colonnes dans des états divers dont le metteur en scène a su tirer parti par un éclairage de couleur rouge que l'on découvre à la tombée de la nuit.
Le mythe de Phèdre, petite fille du soleil, vouée à la malédiction car son grand-père a dévoilé les amours d'Aphrodite et de Mars, est né en Grèce. C'est Euripide qui le premier nous raconte l'histoire, du moins c'est le premier texte que nous avons gardé, mais son ouvrage porte le titre d'Hippolyte couronné et met l'accent sur ce dernier. Sénèque, philosophie romain pédagogue de Néron, reprend le mythe et le premier, change la perspective en donnant la première importance à Phèdre ce qui sera fait ensuite par ses nombreux successeurs comme Racine ou Sarah Kane.
Silvio Giordani veut d'emblée nous rappeler que ce mythe est grec puisque la pièce s'ouvre et est ponctuée régulièrement par une musique grecque chantée en grec ancien. Le décor est dépouillé: deux grosses pierres au milieu de la scène et l'orchestra en demi- cercle.
L'impression générale est que le texte de Sénèque se fait entendre dans sa limpidité et sa poésie: les voix sont claires, le jeu est simple, les costumes ont une résonance antique et tout se joue sur trois couleurs: le blanc, le noir et le rouge. Sobriété, dépouillement.
On remarque plus particulièrement le jeu de la nourrice, d'Hippolyte, la justesse de l'interaction des deux comédiens qui représentent le chœur. Il est toujours difficile de représenter le personnage de Phèdre qui doit être à la fois royal, femme dans sa plénitude, à la fois beau et usé par les ans ainsi que l'on imagine également Thésée .L'impression que laissent les deux comédiens qui jouent ces rôles est un peu moins probante. On aurait peut-être souhaité une Phèdre moins "cantatrice" parfois et un Thésée plus carré dans l'allure, moins général romain usé par ses campagnes.
Une autre réserve également serait que l'essence même du théâtre romain n'est peut-être pas assez développé. Le théâtre romain est spectacle avant tout, car le Romain ne va pas au théâtre comme le grec pour penser mais pour voir ce qui rejoint bien notre époque. La mort de Phèdre sur scène pourrait être plus saisissante, le moment où l'on apporte les membres épars d'Hippolyte plus spectaculaire.
Bref hier soir on entendait clairement Sénèque et on voyait plus Euripide.
Cependant l'impression générale est que le projet est réussi. Les spectateurs se sont laissés aller à l'émotion provoquée par le récit, le texte était clair à entendre et la beauté des lieux était mise en valeur. Une belle soirée d'été!
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